La naissance de L.
À 5h du matin, il fait encore complètement noir quand Y. m’écrit pour m’annoncer l’aube de ce grand jour.
Elle se lève pour manger une bouchée et se recouche pour se reposer. Les contractions continuent pendant qu’elle somnole dans son lit. Une fois que N. s’assure qu’elle est bien installée, il part au bureau terminer les dossiers urgents pendant qu’il reste encore un peu de temps. Pendant son absence, Y. fait bouge et se repose. Vers 8h, elle perd une partie de son bouchon muqueux.
Tout se déroule normalement.
Un petit matin gris se dévoile, puis le soleil arrive pour fondre ce matin froid de novembre. À partir de 11h, les contractions se rapprochent, mais elles sont encore très courtes et d’une assez basse intensité. Durant l’après-midi, les contractions s’intensifient. Vers 16h, elles reviennent aux 3 minutes. Quand Y. appelle à la maternité, on lui dit d’attendre encore une heure et de rappeler. Dans le confort, elle continue à apprivoiser l’intensité de la mise au monde.
À 17h39, la maternité donne le go et c'est le départ vers l’hôpital pour nous trois.
Arrivés à l’hôpital, N. et Y. s’installent au triage. Les contractions sont d’intensité moyenne lorsque mobile, mais beaucoup moins faciles à supporter lorsque étendue. Les parents sont proches, amoureux. À chaque contraction, Y. s’appuie sur son mari, elle se berce, elle se calme dans son cou. N. est tranquille, rassurant. Ils sont magnifiques à voir.
Après chaque contraction, Y. lance un « Yeah » comme Elvis et on rit tous doucement.
Après une vérification du col, on parle d’une dilatation de 3+ et d’un col très effacé. L’infirmière indique aux parents qu’elle les laissera une heure au triage le temps de s’assurer que le travail s’accélère. Elle propose à Y. la marche, le ballon, le bain.
Nous nous dirigeons vers les corridors pour une balade. Les parents blaguent, racontent leur semaine, commentent les affiches sur les murs. L’ambiance est légère et douce. Lorsqu’une contraction arrive, Y. s'agrippe à N. et je place mes mains doucement sur le bas de son dos pour créer de la chaleur. Elle respire bien, se détend, décrispe ses bras, ses épaules. Elle est impressionnante à voir. Je suis émue de les voir aussi calmes et préparés.
Quand on revient au triage, le médecin présent se place en petit bonhomme près de Y., assise. D’une voix extrêmement douce et rassurante, il discute de ses souhaits de naissance, du déroulement souhaité, de sa grossesse. Il a des yeux rieurs et une voix chantante. Il propose un stripping lors de la prochaine vérification du col pour stimuler le travail si la dilatation n’a pas bougé. Comme nous sommes tous confiants que le travail est bel et bien enclenché et qu’elle ne risque pas une latence prolongée, Y. accepte. En effectuant la procédure, il brise accidentellement les membranes et se fond en excuse. Le liquide est légèrement teinté, mais rien n’indique une quelconque complication. « L. est mature pour son âge » que je dis en référence au fait que le liquide méconial est plus souvent observé chez des bébés qui sont à plus de 40 semaines de gestation.
Nous quittons le triage et nous nous installons dans la chambre d’accouchement. Dehors, il fait déjà nuit. La fenêtre donne sur le toit et la machinerie de l’hôpital. On voit des lumières au loin et de la fumée qui s’échappe d’une cheminée. Je dispose la bouteille de Y., son sac, je mets tout à portée de main et coule tout de suite le bain. La chaleur se répand dans la chambre. Y. est étendue sur le lit le temps de prendre une prise de sang, d’installer une voie, de vérifier ses signes vitaux et de monitorer L. pendant 10 minutes.
C’est un moment difficile.
Le changement de pièce, le fait de devoir rester étendue, le temps de reprendre le contrôle de son souffle, de retourner dans son calme, c’est un défi. Les contractions ont augmenté d’intensité depuis le bris des membranes. Y. fait des bruits de maman ourse. Des râles, des grognements. Je l’accompagne pour la guider, pour la rassurer, pour joindre ma voix à la sienne, lui partager mon calme et mon support.
Quand les intervenants quittent la pièce, Y. reste sur le côté, comme assommée. Les hormones font leur effet. Son visage est souple, ses yeux sont entrouverts. Ses lèvres esquissent presqu’un demi sourire durant les moments d’accalmie. Reste que dans cette position, les contractions sont très douloureuses quand elles arrivent. Je lui suggère de se lever si elle en sent la force et l’envie, en lui rappelant qu’elle est plus confortable debout depuis le début. Elle prend quelques contractions pour se reposer et se lève. Elle titube un peu, comme saoulée d’amour et d’attente. Le bain est près. Elle s’y glisse et le soulagement est instantané. L’eau chaude relaxe le corps, l’utérus, le bas du dos. Elle soupire de soulagement et se remercie d’avoir eu le courage de se lever.
Pendant quelques minutes, N. doit s’absenter. Je reste près de Y. Je lui masse les épaules et lui applique des compresses d’eau chaude dans le bas du dos. Nous parlons peu. Je sens que ça s’en vient.
Le silence est plein.
Désormais, quand les contractions arrivent, Y. tremble devant leur force. On dirait que son corps la supporte moins bien. Elle commence à se tortiller, à pleurer. Elle met les mains sur son visage et se crispe. Je lui rappelle doucement de respirer, de continuer son travail qu’elle fait magnifiquement, mais elle est rendue loin. « Je ne pense pas que je le ferai naturel finalement » dit-elle. « Tout est bien. Tu fais comme tu le sens. » N. revient, Y. se désole. « Je me sens poche ».
N. et moi lui répétons à quel point elle a été forte et impressionnante et que de prendre la péridurale ne changera rien à ça, qu’elle a été et est encore forte et courageuse. Comme elle souhaitait une naissance naturelle (même si ce n’était pas à tout prix), je prends le temps de lui dire que selon moi, elle est à la toute fin, qu’elle est dans la phase de la désespérance et que c’est normal d’y être découragée. L’infirmière arrive pour donner de l’information sur les anesthésiants. Elle lui présente d’autres options, Y. demande la péridurale.
L’infirmière appelle donc le médecin.
Pendant que nous sommes à nouveau seuls, je recommence à respirer avec elle, je lui rappelle que même si elle prend la péridurale, toutes les contractions d’ici à ce qu’elle soit installée sont importantes, qu’elles seront moins douloureuses si elle ne se crispe pas. Y. se calme et reprend le contrôle comme une guerrière. Je suis subjuguée par sa force à ce moment.
Quand le médecin arrive, il lui demande de vérifier son col avant d’appeler l’anesthésiste. Y. accepte.
Il est 21h40 et elle est complète. Après 3h40 de travail à l’hôpital, L. est là.
« Je pourrais t’installer la péridurale, mais il faudrait que tu te retiennes pour ne pas pousser tellement qu’elle est proche. » dit le médecin.
« Elle est là » que je dis, émue.
N. regarde sa femme avec des yeux fiers et attendris. Il ne reste que la poussée.
« On va le faire naturel » ricane Y. avant de retourner dans sa bulle pour y rester jusqu’à la naissance de L.
Avec contrôle et force, Y. pousse efficacement à chaque contraction et au bout de 50 minutes, la tête sort. Un petit visage maquillé de vernix et des cheveux foncés. À la poussée suivante, le médecin déloge le bras pris sous le périnée. À la poussée suivante, L. sort et est déposée sur sa mère. « C’est mon bébé. Mon bébé. T’es là mon bébé ».
Tout le monde fond en larmes. Y., N. et moi.
On me demande de couper le cordon et je le fais.
À 22h39, L. naît lilas, bien crémée de vernix et potelée comme un bébé de six mois. Elle a un petit bourrelet adorable sur son avant-bras, une jolie tête bien ronde, des joues rebondies et une bouche en cœur entrouverte et retroussée.
Le ciel est clair et on voit les étoiles.